Nous retrouvons cette semaine, Thierry Herrant, expert-partenaire Visibrain, pour une analyse des réactions sur Twitter face au changement de direction du JDD.
Créé en 1948, le Journal Du Dimanche (JDD) est devenu au fil du temps une véritable institution dans l’univers des médias. Positionné comme un journal d’information grand public, majoritairement lu par des cadres et des retraités (chiffres APCM), le JDD est aussi un support d’influence incontournable.
Pour les passionnés de politique, pour les décideurs, il est l’ami du petit déjeuner dominical. Ses tribunes ou ses longs entretiens de personnalités politiques sont largement commentés au sein de la communauté politico-médiatique.
Comme le souligne sa direction, le JDD n’est pas un journal de fin de semaine, il est plutôt le journal qui fixe l’agenda de la semaine suivante. Influent, le JDD revendique pourtant ne soutenir aucune ligne politique. Son lectorat et ses contenus le positionnent néanmoins plutôt sur une ligne de centre-droit, notamment pour ce qui concerne sa rubrique politique. Ce qui n’empêche pas qu’à l’instar de bien des médias généralistes, le JDD est parfois jugé trop à gauche (rarement), trop à droite (souvent) ou trop macroniste (très souvent).
Le 22 juin, Le Monde révèle la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête du journal. Un véritable coup de tonnerre : le futur patron de la rédaction dirigeait le très droitier Valeurs actuelles, il est un proche d’Éric Zemmour et de Marion Maréchal. Cette nomination confirme aussi la volonté affichée par Vincent Bolloré de prendre possession du journal et de poursuivre, après Canal+, CNEWS, Europe 1 et Paris match, son expansion dans les médias. Considérant que son indépendance n’était plus garantie, la rédaction du journal vote la grève dans la foulée. Dimanche dernier, le JDD n’était pas dans les kiosques pour la troisième semaine consécutive.
Faible retentissement et faible soutien sur Twitter suite à l’annonce du changement de direction du JDD
Cet événement aurait dû agiter Twitter, réseau de prédilection de la sphère médiatico-politique. Il y est question de l’indépendance de la presse, de l’empire médiatique d’un milliardaire conservateur, de la montée de l’extrême-droite. Autant de sujets qui mettent d’habitude Twitter en effervescence. Or, il n’en a rien été. L’émoi suite la révélation du Monde est vite retombé. En un mois, un peu plus de 145 000 messages, concentrés qui plus est sur quelques jours. C’est très peu.
Non seulement la mobilisation du Twitter médiatico-politique est faible pour le sujet, mais le détail des messages les plus partagés indique même un très maigre soutien à la rédaction du journal. Sur les vingt messages les plus partagés, seuls cinq s’inquiètent de l’arrivée de Geoffoy Lejeune.
Les autres messages se félicitent au contraire de cette nomination ou critiquent le journal dominical pour son manque d’indépendance vis-à-vis du pouvoir suite à des révélations dans la presse la veille, le 21 juin.
JDD sur Twitter : cartographie des communautés d’influence qui échangent sur le sujet
La cartographie que nous avons établie à partir des messages mentionnant le JDD permet de constater à quel point la rédaction du journal dominical est isolée sur Twitter, voire même en terrain hostile.
Sur la cartographie, trois zones principales apparaissent distinctement, soulignant trois points marquants autour de cette annonce de nomination :
1/ Une mobilisation massive de la « droitosphère » en soutien de Geoffroy Lejeune
La partie gauche de la cartographie (zones bleue, rose et grise vers le haut) indique bien une mobilisation massive, c’est celle de la « droitosphère », traditionnellement très active sur Twitter. On retrouve là les communautés proches du candidat Zemmour, des sites d’extrême-droite, des chroniqueurs et éditorialistes de CNEWS et de Valeurs Actuelles.
L’argumentaire de cette vaste communauté, très favorable à la nomination de Geoffroy Lejeune, peut se résumer ainsi :
-
De façon générale, le paysage médiatique se situe largement à gauche politiquement. Il ne s’agit donc que d’un juste rééquilibrage, qui permet de lutter contre la pensée unique (de gauche) et de favoriser le pluralisme des idées ;
-
Le JDD, selon eux, a toujours été de parti pris et très favorable à la macronie. C’est donc un juste retour des choses ;
-
Les politiques n’ont pas à juger de la pertinence éditoriale d’un média. Le tweet de la ministre de la culture, qui s’interroge sur le respect des valeurs républicaines, est particulièrement critiqué au nom de la liberté d’expression ;
-
In fine, ce sont les lecteurs qui valideront par leur fidélité au journal le choix de cette nouvelle orientation
🚨 C’est officiel !
— Kiara.69 † ♡ 🇫🇷 ♡ ⓩ 🦋 (@kiara_visentini) June 23, 2023
➡️ Geoffroy Lejeune devient le Directeur de la rédaction du JDD 🚨
Bravo @GeoffroyLejeune 👏🏻👏🏻👏🏻
On vous souhaite une immense réussite dans vos nouvelles fonctions ☘️ 🙏🏻
Vos fidèles lecteurs ont hâte de vous lire dans @leJDD !!! 🤗🇫🇷👍🏻 https://t.co/ybgGgKj4TT
Les journalistes du #JDD se mettent en grève pour protester contre l'arrivée de Geoffroy Lejeune : à part ça, ils ne sont pas à gauche toute !https://t.co/sE46QRxb8q
— Gilbert Collard (@GilbertCollard) June 23, 2023
Mais pour nos valeurs républicaines comment ne pas s’alarmer ? #JDD @RimaAbdulMalak D’abord de quoi se mêle-t-elle? Ensuite quelle présomption de laisser croire qu’elle est une référence absolue en matière de « valeurs républicaines » qu’elle invoque à la tête idéologique du…
— Philippe Bilger (@BilgerPhilippe) June 25, 2023
Mon rituel du dimanche, c’était de me réveiller avec le JDD. Aujourd’hui il ne paraît pas. Je comprends les inquiétudes de sa rédaction. En droit, le JDD peut devenir ce qu'il veut, tant qu’il respecte la loi. Mais pour nos valeurs républicaines comment ne pas s’alarmer?
— Rima Abdul Malak (@RimaAbdulMalak) June 25, 2023
2/ Les politiques : au mieux un silence assourdissant, au pire une hostilité marquée
Ce qui frappe dans cette cartographie, ce sont les absents. Les personnalités politiques, leurs militants et leurs sympathisants forment des communautés très actives sur Twitter. Ici, elles n’apparaissent pratiquement pas, pour des raisons diverses.
C’est le cas du parti Les Républicains, qui a toujours considéré que le JDD était la « pravda » du pouvoir macronien et qui ne voit pas d’un mauvais œil un positionnement éditorial plus droitier. Le mouvement Renaissance reste silencieux, sans doute pour éviter le procès en ingérence dans les affaires d’un média considéré politiquement proche. Le Parti socialiste affirme son soutien, mais sa communauté est réduite à portion congrue.
Quant à la communauté de La France Insoumise (en orange, en haut de la cartographie), d’habitude très présente, elle voue depuis longtemps au journal une franche hostilité. La direction du mouvement a donné le ton en qualifiant les journalistes de « larbins de Bolloré ». Sa préoccupation n’est pas de soutenir l’indépendance de la presse : elle prend pour postulat que celle-ci est aux ordres des milliardaires propriétaires des médias. Quelques députés comme Clémentine Autain soutiennent le JDD sans ambigüité mais ils sont peu suivis par la communauté insoumise.
La récupération officielle du #JDD par l'extrême droite clarifie la situation réelle de ce journal. Sa dernière Une a montré son alignement sur Le Pen. Ses attaques hebdomadaires contre LFI de même. La droitisation de la droite en France est engagée sans faux-semblants.
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) June 22, 2023
La prochaine fois que vous lisez @leJDD, rappelez-vous que certains articles ont peut-être été écrits sur commande de #Darmanin. C’est ce qu’on appelle la presse libre et indépendante ?https://t.co/sKeA9VCEXr
— Manuel Bompard (@mbompard) June 21, 2023
Bolloré place un militant d’extrême-droite à la tête du JDD. Les journalistes tombent des nues. Mais si une poignée de milliardaires a acheté la quasi totalité de la presse française, ce n’était pas pour leurs beaux yeux. Celui qui paye l’orchestre choisit la musique.
— Gérard Miller (@millerofficiel) June 22, 2023
Un média est une entreprise qui produit un bien public : l'information. Sa ligne éditoriale ne peut pas être dictée par des actionnaires, contre l'avis des journalistes.
— Clémentine Autain (@Clem_Autain) June 27, 2023
Un soutien aux grèvistes #JDD contre le choix de Bolloré et un appel à légiférer 👇 https://t.co/aTSk4zqItg
3/ Changement de direction du JDD : des professionnels et spécialistes des médias très mobilisés sur Twitter
C’est la zone verte en bas à droite de la cartographie. Elle est composée de journalistes, de médias qui ont hébergé des pétitions de soutien (Le Monde), d’experts comme Julia Cagé ou de représentants d’associations professionnelles comme Christophe Deloire, de Reporters sans Frontières.
Tous s’inquiètent de l’arrivée de l’ancien directeur de la rédaction de Valeurs Actuelles. Pour eux, Geoffroy Lejeune porte d’abord un projet politique avant un projet éditorial, qui va compromettre l’indépendance des journalistes du JDD.
Ils rappellent qu’en démocratie, un média n’est pas une entreprise comme une autre : « c’est une entreprise qui produit un bien public, l’information ». Les journalistes doivent pouvoir travailler indépendamment des désirs de leurs actionnaires.
C’est en réalité le seul vrai espace de soutien notable à la société des journalistes du JDD. On voit qu’il est loin d’être majoritaire dans la sphère Twitter.
Bolloré est un spécialiste du découpage à la hache dans les médias qu'il rachète, il l'a assez prouvé, souvenons-nous d'ITélé. Nous nous mobiliserons autant que possible pour éviter un carnage journalistique au @leJDD. Courage à ses journalistes qui défendent leur indépendance… pic.twitter.com/HtMd9uc0Nx
— Christophe Deloire (@cdeloire) June 23, 2023
Non, Madame la Ministre, le JDD ne peut pas devenir ce qu'il veut.
— Julia Cage (@CageJulia) June 25, 2023
Car il produit un bien public : l'information.
C'est pour cela qu'il bénéficie d'aides à la presse.
Conditionnons ces aides à l'agrément du choix du directeur de la rédaction par la majorité des journalistes. https://t.co/SocFZaJasD
Vu de ce réseau, on peut déjà conclure que le salut de la rédaction du JDD ne passera pas par une mobilisation massive au nom de la liberté de la presse et de l’indépendance journalistique. La Société des journalistes du JDD a adressé le 9 juillet une lettre ouverte au chef de l’État, l’intimant d’intervenir. Elle attend une réponse.