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L'avis des experts
Chaos au Stade de France : analyse d’une gestion de crise hasardeuse

Thierry Herrant
Consultant - Enseignant en communication publique à Sciences Po Paris

@thierryherrant

Nous accueillons cette semaine, sur le blog de Visibrain, Thierry Herrant, consultant et enseignant en communication publique à Sciences Po Paris, pour un décryptage de la finale de la Champions League. Une soirée qui restera dans les annales, malheureusement pour de mauvaises raisons.

Crise du Stade de France : pourquoi la polémique s’éternise sur Twitter en 3 explications

Sur Twitter, le volume de messages a explosé les compteurs, puisque les incidents qui ont émaillé l’avant-match ont généré plus de 11 millions de tweets, soit 43% de plus que la finale de l’Euro 2021.

Mais au-delà de ce chiffre vertigineux sanctionnant une crise d’organisation majeure le jour de la finale, il est intéressant de comprendre pourquoi et par quels mécanismes la polémique ne s’est pas éteinte, comme c’est souvent le cas, au bout de 48h.

Nous avons pour ce faire observé de manière plus fine le hashtag #StadeDeFrance, principalement utilisé tout au long de cette crise qui a duré plus d’une semaine.

Timeline des tweets sur #StadeDeFrance (28 mai – 4 juin 2022) :

timeline stade de france

Au bilan, trois explications émergent pour comprendre pourquoi la crise du Stade de France s’est éternisée sur Twitter, alimentant ainsi dans la durée une polémique qui laissera sans doute des traces dans l’opinion.

Première explication : un contexte favorable face au climat relativement atone des législatives

Peu de débats, peu d’aspérités, une campagne à bas bruit où les programmes sont peu discutés sur le fond, peu de « propositions audibles et claires qui entrent en résonance avec les inquiétudes des Français », comme le souligne le sondeur Matthieu Gallard. Peu de sujets polémiques également.

La politique ayant horreur du vide, le fiasco du Stade de France va donner l’occasion aux différentes composantes du paysage politique français de se positionner et d’émerger, une fois de plus, sur le terrain de la polémique.

Deuxième explication : les pouvoirs publics se sont trouvés confrontés à une crise de forte intensité

Il y a les crises qui sont des fusils à un coup, qu’il faut gérer en « one shot », en fonction de la nature du coup et de son impact. Il y a les crises qui rebondissent, qui « feuilletonnent » en s’étalant dans la durée. Et il y a les crises de forte intensité, comme celle du Stade de France, qui comportent potentiellement plusieurs angles « crisogènes », à même de mobiliser en même temps des communautés variées sur les réseaux sociaux. Autant dire que ces dernières doivent immédiatement faire l’objet d’une attention particulière de la part des décideurs.

Dans le cas qui nous intéresse ici, on peut identifier au moins trois registres d’indignation spécifiques, qui ont mobilisé dans la durée des communautés distinctes :

  • 1/ Les violences policières, avec en toile de fond la critique de la doctrine du maintien de l’ordre appliquée par les autorités françaises. Un thème classique très mobilisateur à gauche, qui ici s’est concentré sur le ministre Gérard Darmanin et le préfet de police Didier Lallement, dont la démission est demandée, comme souvent dans ce genre de scénario

sélection de tweets 1

  • 2/ Les agressions de supporters par une « délinquance d’opportunité », qui permet à l’extrême-droite et à la droite dure de pousser leur thème de prédilection, que l’on peut synthétiser par « l’invasion d’une racaille immigrée anti-France mettant le pays à feu et à sang ». C’est ce thème qui suscite le plus d’engagement sur Twitter durant cette crise (cf. les tweets ci-dessous, majoritairement plus relayés)

sélection de tweets 2

  • 3/ Les graves dysfonctionnements dans la logistique et l’organisation de l’événement, provoquant des inquiétudes dans la perspective des JO de 2024. Ce thème sera largement repris dans les médias nationaux et internationaux

Les trois registres permettent d’abord de mobiliser l’écosystème le plus actif de Twitter, celui qui peut influencer les médias et l’opinion, le Twitter politique entendu au sens large : la fraction politique des militants et des sympathisants, les journalistes, les élus et institutionnels, ainsi tous les observateurs sensibles aux événements de l’actualité.

L’extrême-droite a pu, notamment face au déni des autorités, largement occuper le terrain de la polémique, en retrouvant de la vigueur qu’elle avait perdu assez largement durant la présidentielle et les législatives. Le caractère populaire de l’événement et son retentissement international ont fait le reste, en touchant une large audience, y compris sur Twitter.

Troisième explication : une stratégie du déni des autorités officielles, très vite contredite sur Twitter

Cette stratégie est contredite par les images et les témoignages qui s’expriment très rapidement sur Twitter. Dissonance majeure qui explique pour l’essentiel l’installation de cette crise dans la durée, en exacerbant l’indignation des différentes communautés numériques et en nourrissant la production médiatique.

La ligne argumentaire de la communication gouvernementale se résume en effet en un tweet (ci-dessous) et elle n’en démordra pas durant presque six jours de crise.

Pire, comme le rappelle O. Cimelière, « la conférence de presse du 30 mai aurait pu être l’occasion de sortir des conclusions lapidaires du tweet de Gérald Darmanin. Il n’en fut rien. Au contraire, le discours officiel persiste à faire des faux billets, la cause majeure des débordements enregistrés à la veille du coup d’envoi de la finale ».

Cette ligne intenable entretient l’indignation, nourrit la controverse et la défiance, d’autant que les témoignages - vidéos, threads documentés - de spectateurs, voire de journalistes le jour du match et les jours suivants viennent contredire assez radicalement la version officielle sur de nombreux aspects : absence de hooliganisme, gazage des supporters dans l’enceinte du stade, agressions par des bandes organisées aux extérieurs… En gestion de crise, il est essentiel de recueillir tous ces éléments pour nourrir la communication de crise et la faire évoluer si nécessaire.

Ces témoignages sont largement repris dans les médias. À l’arrivée, quelques jours après le fiasco, le verdict de l’opinion est sans appel : selon une enquête Odoxa-Backbone Consulting, 76 % des Français ne croient pas en la version du ministre Gérald Darmanin « selon laquelle des “milliers de supporters britanniques sans billet ou avec des faux billets” ont “forcé les entrées” du Stade de France. »

Aux longs témoignages de sportifs, journalistes et autres célébrités viennent s’ajouter plus de 5 000 témoignages recueillis en un jour sur une plateforme créée à cet effet par le club de Liverpool. « On a tous vu des vidéos, des photos, j’ai lu nombre de témoignages sur des expériences absolument horribles au départ du stade aussi - des crimes commis, des vols. (…) qui doivent absolument être inclus dans l’enquête indépendante » Billy Hogan, Directeur Exécutif du club de Liverpool.

article le parisien

Il faudra attendre cinq jours et une audition au Sénat pour que la communication gouvernementale, par l’intermédiaire de son ministre de l’Intérieur exprime des regrets. Une lente décrue des messages commence dès le lendemain de l’audition. Mais le mal est fait.

Que faut-il retenir de la crise du Stade de France vue par Twitter ?

En conclusion, une gestion de crise plus réactive, prenant en compte les victimes et jouant immédiatement la transparence aurait sans doute permis d’éviter cette longue séquence. Un suivi de Twitter en temps réel - en décortiquant les témoignages, les threads - aurait permis également d’ajuster beaucoup plus rapidement les éléments de langage. Twitter est le réseau social du temps réel, il faut aussi l’utiliser dans cet esprit en cas de crise.

Encore faut-il pour cela que les responsables politiques en soient convaincus. Pas certain que le ministre de l’Intérieur le soit.

On pourra toujours arguer que cet événement disparaîtra vite des mémoires, comme bien d’autres. À la proximité des JO 2024, ce n’est pas tout à fait certain. C’est occulter aussi que si les crises s’oublient, le ressentiment et la défiance, eux, s’accumulent par couches de colère successives. La crise du Stade de France aura sans nul doute contribué fortement à cette inquiétante sédimentation du mécontentement vis-à-vis du politique.

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