Maîtriser son discours autour de la RSE est tout un art appartenant, souvent, aux directions communication. Mais quel discours tenir et quelle posture adopter ? Quels sont les risques majeurs de prendre la parole sur des sujets sociétaux, de développement durable, ou d’écologie ?
Pour y répondre, nous laissons la parole à Frédéric Fougerat, Président de Tenkan Paris et cofondateur de Cogiteurs.
Développement durable, RSE, ESG… Quelles différences ?
Tous ces termes font référence à une même direction prise par les entreprises depuis une vingtaine d’années, qui voudrait qu’elles portent, comme les organisations publiques, plus de considération aux questions sociétales et environnementales, à l’humain et à la planète.
L’appellation la plus compréhensible aujourd’hui ne l’était pas forcément à l’origine. Le développement durable fait donc référence à toutes les politiques qui favorisent un meilleur usage des ressources dans le temps. Un développement qui répond aux besoins présents sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.
Le sigle RSE (pour responsabilité sociale ou sociétale et environnementale) précise la dimension humaine et environnementale du sujet. La RSE correspond à une démarche volontaire de progrès, de prise en compte des enjeux environnementaux, sociaux, économiques et éthiques dans leurs activités. Quant aux ESG, ce sont les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, qui servent aujourd’hui d’indicateurs de performances extra financiers mesurables, et permettent aux entreprises d’afficher des valeurs plus vertueuses que leurs seules performances financières.
Où positionner la RSE ou les ESG dans les organisations ?
Ce positionnement n’est pas encore ou toujours vraiment acquis dans les organisations. Cette compétence devrait être directement rattachée à la présidence ou à la direction générale d’une entreprise, ce qui permettrait notamment d’afficher une vraie volonté politique et une sincérité de la démarche, mais ce n’est pas systématiquement le cas.
Les critères ESG sont souvent pilotés par la direction financière, notamment dans les entreprises cotées, en collaboration étroite avec de nombreux services internes, afin notamment de collecter toutes les données extra financières nécessaires à l’évaluation des performances.
La RSE est parfois directement rattachée à la direction générale, mais aussi à une direction qualité, juridique, stratégique… Toutes les fantaisies sont permises. Elle peut l’être, plus logiquement, à la direction des ressources humaines, du fait de l’importance de la partie sociale, ou à la direction de la communication, en charge de produire un rapport RSE annuel, aux côtés des autres rapports annuels, document de référence… en fonction du statut des entreprises.
Les directions de la communication sont très engagées dans le RSE. Pourquoi ?
Il est vrai que les directions de la communication sont très engagées dans la RSE, notamment dans les grands groupes. Engagées au point, parfois, de piloter directement les questions de RSE. Pourtant le RSE, ce n’est pas de la com. Ce qui n’empêche pas de communiquer !
Certains dirigeants ne comprennent pas l’intérêt de la RSE, mais y voient, en revanche, une opportunité de valoriser l’image de leur entreprise. C’est la raison pour laquelle ils demandent à la com de la diriger, en ne voyant là qu’une opportunité de promotion de leur marque. C’est ce qu’on appelle communément le green washing et le social washing, méthodes qui consistent à communiquer en utilisant des arguments écologiques ou sociétaux, de manière trompeuse ou abusive, avec pour seule stratégie d’améliorer son image, en paraissant bien plus vertueux ou désirable que la réalité.
Il y a quelques années, les marques ont vu l’opportunité de se valoriser à fort rendement et faible engagement, sur les questions environnementales d’abord, puis sociétales. Certaines ont même imaginé que plus elles communiqueraient sur la RSE, moins elles auraient à faire d’efforts sur leur qualité de service ou de produit, comme si une bonne communication RSE permettait d’atténuer une mauvaise expérience client, un produit de faible qualité, ou un management dégradé.
La supercherie n’a pas pu durer. Ce qui a pu fonctionner un temps aurait plutôt tendance à se retourner contre les entreprises qui, en cherchant à tromper leurs publics interne et externe, se trompent elles-mêmes.
Quant à celles qui ne visent que la performance financière, mieux vaut pour elles qu’elles l’assument !
Existe-t-il vraiment un risque à sur-communiquer sur la RSE ?
Ce n’est pas une question d’en faire trop. C’est plutôt une question de faire juste.
La communication RSE exige de la cohérence entre les engagements et les pratiques. Chercher aujourd’hui à se valoriser sur la RSE, sans exemplarité, c’est prendre le risque d’un procès public en insincérité. La communication RSE comporte même le risque de venir alimenter, au mieux, la polémique, au pire une crise. Pourquoi ? Parce qu’une marque aura plus de risques de se faire attaquer pour ses pratiques mensongères que pour ses mauvaises pratiques.
Le raisonnement des activistes est d’abord d’attaquer les marques sur leurs incohérences plus que sur les erreurs, sauf quand il s’agit de fautes de communication.
Quelques erreurs de communication et de postures à éviter ?
Être cohérent, c’est assez simple, cela revient principalement à être honnête.
1/ Ne prétendez pas être un protecteur de l’environnement si l’activité de votre entreprise l’amène à beaucoup polluer. En revanche, si vous investissez des budgets conséquents pour réduire vos déchets, vos émissions de gaz à effet de serre, vos activités polluantes… montrez le fruit de cet engagement et de ce travail, quand il est mesurable, avéré.
En communication, toujours préférer l’annonce des faits à l’effet d’annonce !
2/ Ne parlez pas d’entreprise bienveillante, où le capital humain est la première richesse, quand des équipes entières quittent l’entreprise par démission ou ruptures conventionnelles. Réglez vos problèmes d’organisation, de management, sortez les managers toxiques le cas échéant…
En communication, une bonne communication employeur doit tenir compte de la réalité employeur.
3/ Ne prétendez pas être un acteur majeur de la transition écologique, si votre activité vous cantonne à un rôle de conseil ou de tiers de gestion, et que vous n’avez en réalité aucun levier d’action.
En communication, il ne faut jamais mentir.
Pourquoi ne jamais mentir ? Quel est le risque ?
Les questions environnementales et sociétales sont des sujets très sensibles dans nos civilisations occidentales. Elles occupent, animent et passionnent le débat public. Qu’il s’agisse de discrimination, d’injustice entre les hommes et les femmes, de gâchis, de qualité de l’air ou de l’eau… Elles offrent autant d’opportunités de communication, quand il y a une belle histoire, sincère, à raconter, que de risques de crise, quand la thématique est détournée, exploitée par opportunisme, ou injustement récupérée.
Si communiquer, c’est valoriser et promouvoir, et de plus en plus, protéger et préserver, ce n’est en aucun cas tromper ! Aussi, même si on n’est jamais obligé de tout dire, en communication, il ne faut jamais mentir !
Par ailleurs, les technologies permettent désormais de trouver quasiment toutes les informations qui existent, même enfouies dans des archives lointaines, et donnent la capacité à chacun de s’exprimer sans contrainte de temps, de durée, de géographie, de puissance pour toucher de très nombreuses cibles… Tout mensonge constitue alors une bombe prête à exploser à la face de votre marque. C’est aussi une raison de rappeler que la communication est une arme. Et qu’on ne confie pas une arme à n’importe qui.
N’avez-vous pas occupé simultanément les fonctions de DirCom et directeur RSE ? Cela ne prouve-t-il pas au final qu’il y ait un lien fort entre les deux ?
Ça ne prouve pas vraiment qu’il y ait un lien. Cela confirme plutôt la difficulté de savoir où positionner cette fonction, et peut-être aussi que l’opportunité d’en faire un sujet de communication, en confiant la RSE au DirCom, peut être grande.
Maintenant, il ne faut pas y voir qu’une décision machiavélique. J’ai toujours affiché une forte sensibilité pour les sujets environnementaux, comme sociétaux, avec notamment des engagements passés, connus et reconnus, dans la lutte contre les discriminations. Donc le choix des entreprises, notamment de services, de me confier le pilotage de la RSE était cohérent, voire intelligent vu de l’extérieur. Enfin, j’ai toujours veillé à faire la distinction entre les deux fonctions. Je me suis entouré de personnes plus compétentes que moi pour suivre les missions RSE, et j’ai également veillé à ne jamais en faire un prétexte de communication. J’ai ainsi tenté d’être cohérent entre mes engagements et mes pratiques.