L’intelligence artificielle bouleverse différentes sphères professionnelles, diverses industries, mais aussi métiers et méthodes de travail.
Pour comprendre l’impact de l’IA sur les métiers de la veille, nous avons questionné Guillaume Sylvestre, Directeur Digital Intelligence de l’ADIT (Agence pour la Diffusion de l’Information Technologique) et chercheur associé à l’École Nationale Supérieure de la Police - détection des manipulations de l’information sur les réseaux sociaux.
Qu’est-ce que la veille ? Quel est le travail des veilleurs et quels outils utilisent-ils ?
Il y a, j’imagine, énormément de définitions de la veille, le processus a d’ailleurs sa norme. Pour ma part, je parlerais plutôt d’analyste que de veilleur. Parce que la dimension de veille « classique » consistant à opérer un dispositif de collecte de l’information, pour la sélectionner, la trier et la diffuser ensuite, est déjà très automatisée ou délocalisée. Quand certains outils/groupes ont licencié les trois quarts de leurs salariés pour les « remplacer par l’IA », les syndicats ont pointé que depuis plusieurs mois certains contrats étaient réalisés par des prestataires à l’étranger.
Donc, un veilleur doit aujourd’hui être aussi un analyste, c’est-à-dire être capable de tirer une valeur ajoutée de l’information collectée, en la contextualisant par rapport à un besoin précis, en reliant les informations pour identifier des tendances, anticiper et décrypter les actions de la concurrence… Se contenter de paramétrer un outil de veille, de vérifier la sélection des bonnes informations et de mettre en forme une newsletter ne suffit plus depuis longtemps !
L’intelligence artificielle fait-elle déjà partie de la veille, avant ChatGPT ?
Plusieurs plateformes intègrent de l’intelligence artificielle à différents niveaux, avec des succès variés. Avant ChatGPT donc, les technologies IA autour du machine learning et du deep learning sont assez complexes à paramétrer sur un besoin spécifique. Le principal souci d’une IA exploitée par un outil de veille pour tous ses clients, est le manque d’adaptation à un besoin spécifique. Par exemple, si on utilise l’IA pour retrouver certains types d’information, tout le monde ne cherchera pas la même chose, donc il faut adapter l’IA pour chaque cas d’usage.
Une plateforme avait proposé des modules en ce sens, mais a laissé tomber après quelques mois, aucun client n’acceptant de consacrer des dizaines de jours hommes à l’entrainement de l’outil. Donc soit on a des résultats peu performants et peu fiables, soit on y passe énormément de temps…
C’est moins vrai par contre sur la reconnaissance d’images, pour la lutte contre la contrefaçon par exemple, il existe pas mal d’IA très performantes. Mais sur la compréhension du texte, jusqu’à ChatGPT, c’était très limité.
Quelles sont les évolutions amenées par ChatGPT et les modèles de langage ?
Pour faire simple : la capacité à donner une réponse satisfaisante à tous types d’instructions, sans devoir jongler avec des paramètres complexes. Evidemment il peut y avoir des erreurs, il faut jouer un peu avec l’outil, mais c’est le travail de quelques heures pour avoir des résultats pertinents en recherche d’information, pas de dizaines de jours comme sur les modèles machine learning. C’est une vraie révolution.
Pour la veille, cela implique que bientôt, on pourra créer des assistants pour chercher et mettre à jour de l’information sur le web en fonction de besoins et sujets spécifiques. Cela ne sera pas automatique, il faudra toujours spécifier des types de sources, affiner les résultats, mais il y aura un énorme gain de temps. Donc les veilleurs vont devoir aller de plus en plus vers l’analyse, vers des tâches à plus forte valeur ajoutée en combinant l’IA à leurs outils pour gagner en temps et en efficacité et se concentrer sur l’analyse.
Quelles sont les limites de son utilisation au quotidien ? Les métiers de la veille sont-ils menacés ?
L’intelligence artificielle reste un outil, qui n’a d’intelligence que le nom. Concrètement, les modèles de langage comme ChatGPT, calculent la probabilité de la réponse attendue, et la rédigent. D’où l’importance de bien spécifier son besoin. Dès lors, des erreurs sont possibles, il faut réitérer, mais c’est aussi parce que nous sommes aux débuts de cette technologie.
Bientôt, on aura des ChatGPT ou autres comme assistants pour gérer toute sorte de démarche, donc cela menace évidemment de nombreux emplois. Pour la veille, ChatGPT sera capable évidemment de trier et sélectionner des informations, mais également de produire des analyses, notamment de sentiment par exemple. Il faut donc apporter plus de valeur ajoutée dans le travail du veilleur / analyste.
Quelles sont les compétences/expertises que les veilleurs peuvent acquérir pour ne pas se laisser dépasser par l’IA ?
Il faut toujours garder en tête le besoin client, interne ou externe, et avoir la capacité à s’adapter au plus près de ce besoin, en intégrant différentes sources d’informations, différentes méthodologies.
Plus on combine d’éléments et de techniques d’analyse, plus cela sera complexe de reproduire ce fonctionnement avec l’intelligence artificielle. Par exemple sur les réseaux sociaux, dont les données ne sont pas exploitables par ChatGPT (parce que c’est leur trésor !), on peut développer des expertises en analyse Big Data par la datavisualisation et la cartographie de communautés, qui sont difficilement automatisables puisqu’il faut interpréter les informations selon le contexte de l’analyse. J’ai vu le cas de data analyst qui se basaient uniquement sur leurs outils pour la Social Data et faisaient des contresens majeurs sur des analyses de polémiques en ligne. Les analystes gagneront également à cultiver une expertise sur leurs thématiques d’études, pour mieux interpréter l’information, repérer des éléments innovants ou troublants.
La veille reste un outil pour répondre à un besoin, ce n’est pas une fin en soi. En restant concentré sur ce besoin, en suivant son évolution et en s’y adaptant, l’analyste / veilleur restera toujours pertinent. Et il pourra utiliser l’intelligence artificielle pour gagner en temps et en efficacité.
En quoi l’intelligence artificielle peut aider le veilleur ?
Je donnais l’exemple de la collecte et du tri automatique de l’information, mais les possibilités d’usages sont nombreuses : on peut utiliser ChatGPT pour identifier de nouvelles sources, pour effectuer des recherches dans une langue étrangère, traduire des documents, synthétiser des PDF. La limite restant pour le moment la confidentialité des données – donc par exemple je ne m’en sers que sur certaines sources ouvertes – mais plusieurs entreprises installent sur leurs serveurs leur propre version sécurisée de l’outil.
Bref, gagner en temps et en efficacité sur des tâches fastidieuses, voir identifier des informations que l’on aurait pas pu trouver en regardant uniquement par mot-clés.
Contrairement au machine learning, les modèles de langage sont simples à utiliser, tous mes clients l’ont fait à un moment ou à un autre par ailleurs. Le veilleur gagnera donc à devenir un spécialiste de ces outils, à se les approprier, pour gagner du temps et identifier où se trouve sa valeur ajoutée !
Quelques ressources complémentaires proposées par des experts du sujet, que je vous invite à suivre sur LinkedIn ou X :