Astroturfing. Ce mot vous est peut-être inconnu, pourtant sa portée est majeure sur les réseaux sociaux. Tel fût l’objet de la conférence de Guillaume Sylvestre lors du Visibrain MeetUp, l’événement des professionnels de la communication. Mais, qu’est-ce qu’est l’astroturfing ? Et comment déceler ces stratégies ?
Pour répondre à ces questions, Guillaume Sylvestre, directeur digitale intelligence de l’ADIT nous livre son expertise sur ce phénomène, en le définissant et en l’illustrant lors de l’événement de Visibrain.
Replay de la conférence « Reconnaître un cas d’astroturfing » par Guillaume Sylvestre
Définition du phénomène d’astroturfing sur les réseaux sociaux
Dans le paysage social media, le terme d’astroturfing est utilisé pour pointer du doigt un mouvement de manipulation. Guillaume Sylvestre l’introduit par cette définition « L’astroturfing est un phénomène qui repose sur une seule idée, celle de faire croire à un mouvement spontané, massif, venu de la « base » et forcément légitime. »
Il poursuit cette description par « L’astroturfing, en somme, est une opération réalisée par des faux comptes pour générer du bruit ou par des militants ou professionnels rémunérés pour influer sur le débat public. »
L’astroturfing, une stratégie qui vise à déstabiliser des adversaires à l’aide des réseaux sociaux
En 2024, et avec l’aide des réseaux sociaux et du web, il est facile de mettre en place des campagnes d’astroturfing. Guillaume Sylvestre met le doigt sur un fonctionnement autour de deux profils : les « alphas » et les « betas ».
Les alphas ont un rôle très précis détaille Guillaume Sylvestre : « Ce sont des comptes qui ont vocation à devenir influents sur leurs thématiques, à créer une légitimité via leurs messages ce qui leur permet d’être très repris et visibles très rapidement. »
Quant aux « betas », ce sont des profils qui « soutiennent des acteurs, mais surtout qui vont attaquer leurs détracteurs en meute, avec une litanie de messages. » précise notre conférencier.
Mais l’astroturfing est aussi une tactique de défense et de protection
Au-delà du phénomène de manipulation, l’astroturfing peut aussi être utilisé dans une logique de soutien pour les entreprises ou des acteurs qui sont en difficulté ou attaqués sur un instant T.
« J’ai longtemps analysé les émissions de Cash Investigation, qui ont un angle très offensif, revendiqué contre les entreprises. » explique Guillaume Sylvestre.
Il cite un exemple, celui de Limagrain qui était attaqué dans le cadre d’une émission sur les semenciers. L’entreprise a décidé d’activer différents influenceurs afin de relayer leur message. Ces derniers étaient déjà actifs sur le glyphosate contre Elise Lucet, Limagrain était donc soutenu par une large communauté sur les réseaux sociaux.
Quand l’astroturfing impacte l’opinion via les réseaux sociaux
Les complotistes, de vrais professionnels de l’astroturfing
Guillaume Sylvestre met en lumière les complotistes en tant qu’astroturfeurs les plus performants. Il détaille cette information « Ces acteurs ont des communications très structurées et toutes ces stratégies du complot sont valorisées sur les réseaux sociaux. »
Il poursuit « Pendant très longtemps, sur YouTube, l’algorithme mettait en avant des vidéos sur les théories du complot (du 11 septembre 2001 par exemple). J’ai notamment cartographié, il y a quelques années, les échanges américains sur les vaccins. Comme nous pouvons le voir sur la cartographie ci-dessous, plusieurs communautés se démarquent. »
- En vert clair : des complotiste qui considèrent que les vaccins sont dangereux
- En bleu clair : des personnes inquiètes, comme des parents, qui craignent les effets secondaires des vaccins
- En rouge : des acteurs qui sont plutôt orientés sur la défense d’un mode de vie plus naturel
« L’efficacité de cette stratégie de cibler différents profils inquiets est liée au fait que les acteurs du vaccin n’ont rien vu venir. » explique Guillaume Sylvestre.
Il poursuit « On observe également tout à droite des acteurs officiels qui communiquent entre eux. Leurs messages ne touchent pas les autres communautés, et c’est cela qui fait que ces théories ont pu se développer aussi facilement et que l’on a pu avoir autant de problématiques sur les vaccinations. »
Exemple d’astroturfing : #Agriculteursencolère, un mouvement manipulé sur X ?
Autre exemple, celui du mouvement des agriculteurs en colère. La question de la manipulation des débats sur X/Twitter autour de cela est légitime. Il a généré de nombreux messages qui se comptent en millions. Guillaume Sylvestre souligne un aspect important dans ce sujet d’actualité « Les leaders du mouvement, les agriculteurs, ne sont pas forcément présents sur X / Twitter. »
Des volumes de messages très importants sur les #AgriculteursEnColère sur X/Twitter
La volumétrie de messages publiés autour de ce mouvement est conséquente sur le réseau social d’Elon Musk. Et pour preuve, plus de 6,5 millions de messages ont été postés en un mois sur la mobilisation des agriculteurs. Cela représente 2 fois plus que sur la réforme des retraites, déjà très commentée à l’époque.
Des comptes aux origines et à l’activité douteuses sur les réseaux sociaux autour des #Agriculteursencolere
« À l’aide de l’outil Visibrain, il est facile d’identifier les comptes qui sont particulièrement actifs sur le sujet » continue Guillaume Sylvestre. Ici, nous observons que plusieurs profils ont été créés récemment produisant jusqu’à près de 2 000 messages par jour laissant penser à une manipulation comme nous pouvons le voir dans les utilisateurs s’exprimant sur le sujet ci-dessous (constat observé par Thierry Herrant sur le blog de Visibrain).
Conclusion de la conférence « L’astroturfing, c’est quoi ? » par Guillaume Sylvestre
Guillaume Sylvestre résume le phénomène par une phrase : « L’astroturfing peut être exploité par n’importe qui, par n’importe quel acteur, et sur n’importe quel sujet. »
Il précise les indicateurs d’astroturfing à surveiller :
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Une mobilisation quantitativement douteuse avec des profils à plus de 100 tweets / jour, confirmée par le coefficient de manipulation des échanges
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Une présence accrue de profils anonymes (absence d’informations, alias actifs sur un seul réseau social, focus sur un unique sujet, coordination avec d’autres acteurs similaires…)
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Un narratif tourné vers des arguments spécifiques qui reviennent en permanence chez ces acteurs, avec une coordination spécifique