La plateforme Bluesky, portée par l’ancien PDG de X, suscite un vif engouement dans le paysage des réseaux sociaux. Le mois dernier, elle a attiré un million d’abonnés en seulement 24 heures, séduisant de nombreux utilisateurs en quête d’alternatives aux plateformes existantes.
Mais, comment ce nouvel acteur fait-il ses marques face à des géants comme X, Threads ou encore Telegram ? Quels sont ses atouts ? Et quels défis Bluesky devra-t-il relever pour s’imposer durablement ?
Pour répondre à ces questions, nous avons le plaisir d’accueillir Victor Lefranc, consultant RP & Influence de l’agence Mot Compte Double. Positionnement de Bluesky, perspectives d’avenir, thématiques discutées et communautés présentes sont au programme de cette interview.
En quoi Bluesky se distingue-t-il des autres plateformes comme X ou Threads ?
Bluesky est souvent perçu comme un retour à l’essence du Twitter “d’avant Elon Musk”. C’est l’alternative indépendante aux réseaux dominés par les GAFAM, notamment X, critiqué pour son ambiance toxique et ses polémiques incessantes. Ce réseau séduit par son interface épurée et son esprit d’échange direct et authentique. Financé à ses débuts par Jack Dorsey le co-créateur de Twitter, Bluesky se démarque par des outils innovants, tels qu’une API facilitant la migration des abonnés et contenus entre les deux plateformes, des posts allant jusqu’à 300 caractères, des messages privés, et des vidéos qui enrichissent aussi l’expérience utilisateur, et gratuitement.
En comparaison, Threads, avec sa forte empreinte Meta, s’intègre parfaitement à l’écosystème du groupe grâce à son design inspiré d’Instagram, mais cette proximité peut rebuter les utilisateurs en quête d’indépendance. Ce qui fait la force de Bluesky, c’est son approche centrée sur la transparence et la simplicité, répondant à une demande croissante pour des espaces d’échange authentiques et fiables. À mes yeux, Bluesky réussit à combiner la nostalgie du Twitter originel avec des fonctionnalités modernes qui enrichissent véritablement l’expérience utilisateur. La même chose, en mieux sur certains aspects.
De nombreuses personnes présentent Bluesky comme une version idéalisée de X. Quel est ton regard sur ce point ?
Disons que c’est “plutôt vrai sans être totalement faux”. Le réseau se positionne avant tout comme une version idéalisée de X, reprenant les codes et les fondamentaux qui séduisaient les utilisateurs de l’ancien Twitter : une interface épurée, des discussions authentiques, parfois drôles et une communauté préservée - pour le moment - des trolls et des contenus sponsorisés. L’absence d’algorithmes intrusifs ou de recommandations “Pour vous”, comme sur X ou TikTok, renforce cette impression de retour aux sources. Cette simplicité attire également des médias comme Ouest France, Sud-Ouest ou The Guardian, qui se détournent de X, soulignant une évolution dans la manière de partager l’information.
Sur le plan culturel, Bluesky se démarque par des outils de modération et de filtrage efficaces, permettant une expérience personnalisée et équilibrée. À l’opposé des fake news qui gangrènent X, ou encore des controverses sur TikTok liées à la santé mentale des jeunes, Bluesky cultive une image de réseau « propre », où la qualité des échanges prime sur le sensationnel. La décision de doubler ses effectifs de modération rassure et marque une volonté de maintenir cet environnement sain.
Cependant, cette harmonie repose aussi sur la petite taille actuelle de la plateforme. Si Bluesky venait à croître rapidement, il pourrait être confronté aux mêmes défis que X, TikTok ou d’autres réseaux comme Clubhouse ou Mastodon, dont le succès initial n’a pas suffi à garantir leur pérennité. Pour l’heure, Bluesky reste prometteur, mais son avenir dépendra de sa capacité à grandir sans perdre pieds.
Est-ce que certaines thématiques émergent par rapport à X, Threads ou encore Telegram ?
Des sujets comme la politique, l’écologie, le militantisme, la culture, la science ou encore la pop culture occupent une place centrale. Contrairement aux plateformes où les algorithmes privilégient des contenus clivants, Bluesky se distingue par une approche plus sereine et bienveillante, avec moins de clashs et davantage de discussions constructives.
Cette différence se ressent particulièrement dans la manière dont les utilisateurs abordent les sujets. Il y a une prise de hauteur dans les échanges, où la qualité prime sur le buzz ou les polémiques stériles. Bluesky n’impose pas de grandes thématiques prédéfinies, et sa structure et son esprit de communauté encouragent des conversations plus riches et variées, les idées peuvent vraiment circuler. On se sent moins énervé en s’y connectant.
Quelles communautés sont présentes sur Bluesky ?
On y retrouve des médias et journalistes, des amateurs de jeux-vidéo, des artistes, ou encore des passionnés de science, de santé et de nouvelles technologies. La plateforme se distingue aussi par une forte présence de communautés progressistes, qu’elles soient composées de LGBT+, d’amateurs d’humour ou d’activistes. Cette diversité crée un espace intéressant où chacun peut facilement trouver sa place et interagir selon ses affinités.
Ce qui fait aussi la singularité de Bluesky, ce sont les “starter packs”, qui proposent des suggestions de comptes à suivre en fonction des centres d’intérêt. Cela permet aux nouveaux utilisateurs de recréer rapidement un écosystème communautaire solide et adapté. Par exemple, nous avons suivi des journalistes de médias comme Actu.fr ou Le Monde dès notre arrivée, ce qui facilite l’expérimentation des outils et l’interaction avec ces acteurs clés. Avec ses communautés variées et son potentiel d’innovation, Bluesky s’affirme comme un outil crédible et prometteur pour les décideurs et les passionnés d’actualité.
Penses-tu que cette plateforme restera attractive et dominera le paysage des réseaux sociaux à long terme ?
Bluesky est une plateforme prometteuse, en phase avec l’évolution des usages numériques. Son modèle décentralisé séduit de plus en plus d’utilisateurs, attirés par une alternative plus ouverte et collaborative que celles proposées par les géants traditionnels. Elle répond à une réelle demande de transparence et de contrôle, particulièrement après les controverses liées à Elon Musk sur Twitter ou encore avec le scandale Cambridge Analytica, qui ont exacerbé les inquiétudes sur l’utilisation des données personnelles et les dérives des plateformes centralisées.
Cependant, pour s’imposer sur le long terme, Bluesky devra maintenir une innovation constante, attirer une audience diversifiée et préserver un espace propice à des échanges respectueux. Son fonctionnement ouvert et gratuit, offre aux utilisateurs une personnalisation accrue des flux et des interactions, tout en limitant le contrôle unilatéral d’une seule entité. Cela représente un avantage clé, mais également un défi en matière de gouvernance et de modération.
Si la plateforme parvient à fidéliser les créateurs de contenu, les influenceurs, décideurs et les entreprises – là où d’autres comme Mastodon a peiné – elle pourrait durablement s’installer. D’autant que dans un contexte où la protection des données personnelles et l’éthique numérique deviennent des priorités, Bluesky semble bien positionnée. Si elle réussit à conjuguer innovation, transparence et expérience utilisateur intuitive, elle pourrait s’imposer comme une alternative incontournable, capable de bousculer les leaders établis.