Hamama Naili, consultante en veille et réputation chez Antidox analyse la place de la santé mentale sur TikTok à l’aide des données réseaux sociaux de Visibrain à l’occasion des semaines d’information sur ce sujet.
Le mot d’introduction d’Hamama Naili
Le 10 octobre, Journée internationale de la santé mentale, est l’occasion de porter une attention particulière à un sujet devenu central dans les discussions publiques.
Depuis septembre, plusieurs événements ont renforcé cette médiatisation, notamment l’annonce de Michel Barnier qui, au lendemain de sa nomination comme Premier ministre, a déclaré vouloir faire de la santé mentale “la grande cause nationale de l’année 2025”. Réitérée lors de son discours de politique générale du 1ᵉʳ octobre à l’Assemblée nationale, cette décision place la santé mentale au cœur des priorités des politiques publiques, en insistant sur la prévention des comportements à risque.
Un sujet d’autant plus important à l’ère des réseaux sociaux qui entérine ce qui semble être une prise de conscience de l’ensemble des parties prenantes concernées. Le 24 septembre dernier par exemple, aux USA, une influenceuse américaine a été bannie de TikTok pour des propos jugés controversés sur l’alimentation et la promotion de comportements à risques.
Ce bannissement soulève la question de la responsabilité des créateurs de contenu et des limites de la liberté d’expression, en particulier lorsqu’il s’agit de sujets sensibles liés à la santé mentale. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et TikTok ont d’ailleurs annoncé une collaboration d’un an pour fournir des informations fiables et scientifiquement fondées sur la santé, visant à promouvoir des “comportements sains”.
Dans ce contexte, nous avons souhaité explorer la façon dont la santé mentale est abordée sur TikTok. Quelles thématiques dominent les échanges et comment sont-elles discutées ? Par qui sont-elles portées ? et quelle place occupent les professionnels de santé dans ces conversations ?
Cette étude se concentre sur les contenus publiés sur TikTok en France du 1ᵉʳ septembre au 9 octobre 2024, afin de mieux comprendre les préoccupations des utilisateurs, dans un contexte où la santé mentale prend une place croissante dans la société.
L’essor autonome de la santé mentale sur TikTok
Depuis la rentrée scolaire, la santé mentale s’impose comme un sujet phare sur TikTok, accumulant plus de 3 347 résultats uniques, en moyenne 84 vidéos par jour. Ces publications, portées par 2 102 utilisateurs, ont suscité un engagement massif, avec plus de 2,2 millions de likes.
Il est important de noter que les pics de visibilité sur TikTok ne suivent pas les mêmes dynamiques que sur d’autres plateformes, comme X, où l’activité est souvent stimulée par des événements d’actualité. En effet, les pics de contenu liés à la santé mentale, notamment ceux du 25 septembre et du 3 octobre, se caractérisent par une augmentation significative du volume de publications sans qu’il y ait de cause identifiable ou d’événement déclencheur.
Cette observation suggère que la thématique de la santé mentale sur TikTok se développe de manière autonome, dépassant ainsi les simples réactions aux nouvelles.
La santé mentale, un sujet tendance ?
À chaque trouble sa modalité d’expression et sa typologie de contenu
Parmi les thématiques abordées, les troubles anxieux se distinguent par leur forte visibilité, largement relayés à travers des témoignages individuels. De nombreuses vidéos soulignent que l’anxiété est une maladie invisible, illustrée par des comportements comme la procrastination liée au stress.
Des créateurs de contenu, tels que Angesdanslesnuages, explorent l’anxiété sociale à travers des séries en plusieurs épisodes, tandis que d’autres, comme Arthur Varin, se penchent sur les déclencheurs des crises d’angoisse. On trouve également des conseils, des séances d’hypnose pour “arrêter les pensées anxieuses”, ainsi que des diagnostics non-professionnels suggérant la présence de troubles anxieux en cas de tremblements des mains ou de pertes de mémoire.
Cette période d’observation se révèle aussi propice à la diffusion de vidéos de jeunes diplômés confrontés au chômage, un facteur qui exacerbe leur anxiété.
@maviesereine Fais ça pour stopper tes pensées anxieuses 🧠 #anxieuse #anxiete #anxiété #anxieux #psychologiepositive #etatdesprit ♬ son original - maviesereine
@aurianepalmowski Être au chômage, c’est aussi avoir la peur de ne pas réussir… Finir ses études et se retrouver sans emploi, c’est souvent l’anxiété qui s’installe. Cette peur de ne pas réussir, de ne pas savoir ce qui vient après, de naviguer dans une période incertaine… #chomage #anxiete #selfcare #mindsetmotivation #postalternance #viesanstravail ♬ original sound - Youranxietyislying2yew
Les contenus liés aux troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) sont aussi très présents, avec de nombreux témoignages illustrant les symptômes caractéristiques du TDAH à travers des compilations d’actions quotidiennes. Le compte Cerveautdah, animé par une utilisatrice atteinte de TDAH et autiste, offre une analyse nuancée du trouble en l’abordant sous divers aspects tels que l’alimentation, les médicaments, les émotions, le sport ou encore le voyage.
@tonanxietetemens Ranger sa chambre quand on est tdah hahaha #TDAH ♬ nothing burns like the cold - ❗️
Les troubles du comportement alimentaire (TCA) bénéficient d’une visibilité importante sur TikTok, où circulent des vidéos de « conseils » expliquant comment devenir boulimique, perdre du poids de manière extrême ou dissimuler l’anorexie à ses proches. Des contenus “food” montrant des utilisateurs ingérant des quantités impressionnantes de nourriture sont fréquents. Une utilisatrice française, particulièrement active, s’est spécialisée dans les mukbangs, une pratique consistant à se filmer en train de consommer de grandes quantités d’aliments. Une tendance relevée récemment par le compte de Doctissimo.
@doctissimo Manger des hamburgers, tenders, et frites en se filmant ? Quelle est cette tendance dangereuse ? Le mukbang, peut avoir des effets néfastes sur la santé et impacter ceux qui souffrent de troubles du comportement alimentaire (TCA). Le Dr.Kierzek explique pourquoi cette pratique, en apparence innocente, banalise des excès alimentaires et peut entraîner des problèmes de santé ainsi que des troubles psychologiques liés à l’alimentation. #mukbang #sante #tca #santementale #fyp ♬ original sound - doctissimo
Dans le contexte professionnel, les discussions autour de la santé mentale sont souvent abordées sur un ton humoristique, en utilisant des tendances virales ou des mèmes populaires pour évoquer certains problèmes liés au travail. Cette approche, parfois perçue comme une forme de dédramatisation, permet de créer un espace de partage moins pesant. Des comptes entièrement dédiés à ce sujet se sont ainsi développés sur la plateforme.
@frenchfunfunny0 On fait ce qu'on peut avec ce que l'on a 😅 Quand tu arrives au taf et qu'on t'annonce qu'une collègue s'est mise en arrêt de travail, alors que t'es déjà en sous-effectif depuis 2 mois... #entreprise #burnout #rh #travail #humour #collegues #meme #Capcut #workday #job #bureau ♬ son original - FrenchFunFunny
Des hashtags et une sémantique propre d’appartenance
Des signes et hashtags distinctifs peuvent créer un sentiment d’appartenance entre les différentes communautés. Certains hashtags, mots-clés ou symboles sont fréquemment employés dans des discours de niche au sein de communautés spécifiques. C’est notamment le cas du tatouage en forme de “point-virgule”, un symbole récurrent associé aux récits de tentatives de suicide et de résilience. Sur ce même thème, le hashtag #projectsemicolon véhicule la même signification.
Le hashtag #blackdog, quant à lui, est couramment utilisé pour évoquer la dépression, tandis que pour les troubles du comportement alimentaire, de nombreux hashtags apparaissent, tels que #an0, #ed, #thinspiration ou #mealspo. Il est également fréquent de voir les mots-clés “pro-ana” remplacer les lettres “o” par des zéros, rendant les recherches plus complexes, créant des espaces plus confidentiels au sein des communautés en ligne, évitant ainsi la censure des modérateurs.
Des professionnels de santé en retrait : le poids des discours personnels
Comme le montrent les graphiques précédents, la majorité écrasante des contenus est publiée par des internautes non-professionnels, qui partagent leurs problématiques personnelles, leurs diagnostics et leurs expériences, sans apport ou commentaire d’experts.
Cette absence de commentaires professionnels laisse place à des discours, basés sur le partage de vécus et d’impressions individuels, mais non validés scientifiquement. Dès lors, il devient crucial de rappeler que seul un suivi professionnel peut garantir un soutien approprié, et les plateformes comme TikTok devraient encourager cette distinction claire entre partage personnel et expertise. À noter que les professionnels de santé, ainsi que les comptes les plus actifs ou spécialisés sur ces sujets, ne sont pas nécessairement les plus suivis ou les plus vus, ce qui met en évidence un décalage marqué entre leur implication et leur visibilité.
Les comptes ayant le plus de vues sur des publications liées à la santé mentale
Les comptes ayant le plus de publications liées à la santé mentale
Santé mentale et développement personnel : une frontière floue
Les coachs en développement personnel, bien plus présents sur la plateforme que les professionnels de santé, dominent ces discussions, avec une forte influence sur la perception des utilisateurs. Ces derniers, qui représentent 96 comptes sur la période analysée, brouillent souvent les frontières entre conseils de bien-être et véritable accompagnement thérapeutique. Cette prédominance des coachs met en lumière un paradoxe : malgré l’importance du sujet, les experts en santé mentale peinent à capter l’attention des utilisateurs. Ce décalage peut s’expliquer par la préférence des utilisateurs de se tourner vers des “conseils pratiques”, perçus comme plus accessibles, plutôt que vers des diagnostics plus complexes ou contraignants.
La voix et l’engagement des médias dans la santé mentale
Des médias comme Konbini, Plurielmedia, Fraiches et Brut donnent la parole à des personnalités pour aborder des questions importantes liées à la santé mentale à travers leurs expériences personnelles. Par exemple, Lewis Hamilton se confie sur sa lutte contre la dépression. Tandis que des créateurs de contenu comme Jean-Oscar Makasso, connu sous le nom de “Un psy dans la cité”, met en lumière l’isolement social des jeunes des quartiers populaires face à ces enjeux. Angedanslesnuages aborde le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, et @miel_abtt partage son témoignage sur sa prise d’antidépresseurs à l’âge de 13 ans. Par ailleurs, “Studio Bagel”, qui appartient à Canal +, publie également des extraits où l’on peut voir Marina Foïs parler de dysmorphophobie, Léna Situations évoquer le harcèlement et Alexandre Astier donner des conseils pour mieux gérer le stress au travail.
Les médias traditionnels sont aussi présents sur la plateforme, proposant des vidéos adaptées qui mettent en avant des actualités liées à la santé mentale, accompagnées de données et d’une approche journalistique rigoureuse. Par exemple, RTL donne la parole au médecin Paul Clément pour discuter du burnout au travail, tandis que BFMTV publie un extrait du discours de Michel Barnier sur la santé mentale. Le Monde a ainsi partagé une vidéo consacrée à la santé mentale des sportifs, et Franceinfo a relayé des chiffres de l’Assurance maladie, révélant que “les 12-25 ans consomment de plus en plus d’antidépresseurs”. Quotidien contribue à ce débat en diffusant des extraits, comme celui de Léon Marchand qui souligne l’importance de son préparateur mental, ou l’humoriste Constance qui évoque son burn-out et sa découverte de la bipolarité. Enfin, le compte de France TV met en avant des extraits de documentaires de France TV Slash, une chaîne numérique du service public destinée aux 18-30 ans, qui aborde fréquemment ces questions.
Les actions mises en place par TikTok
Depuis quelques mois, TikTok s’efforce de renforcer sa transparence en matière de surveillance et de modération des contenus relatifs à la santé mentale. Comme mentionné en introduction, la plateforme a établi un partenariat avec l’OMS afin de vérifier les informations et de “promouvoir des comportements sains”. De plus, une page d’information est disponible sur la plateforme, affirmant que la santé mentale est une priorité et incitant les utilisateurs à découvrir des vidéos avec le hashtag #santémentale pour encourager le soin de soi. Par ailleurs, des encarts informatifs apparaissent parfois lors de recherches sur des contenus liés à la santé mentale, tels que “anxiété” ou “TCA”, mais leur présence n’est pas systématique pour d’autres termes comme “trouble anxieux généralisé”, “trouble borderline” ou “TOC”.
Discours religieux et santé mentale : un dialogue croisé
À la croisée des chemins entre foi et santé mentale, de nombreux utilisateurs deviennent les porte-voix d’une approche religieuse, intégrant des discours de “médecine prophétique” qui mettent en avant le bien-être mental. Selon eux, ces discours religieux soulignent des voies vers la guérison, mettant en lumière comment la spiritualité peut exercer une influence positive sur la santé mentale. Il serait pertinent d’approfondir cette question en explorant d’autres réseaux sociaux afin d’analyser le poids de ces discussions et leur impact sur les perceptions et les comportements des utilisateurs.