Le terme « fake news » fait désormais partie intégrante de notre langage. Avec la rapidité de transmission des informations, ces « fausses nouvelles » se propagent à la vitesse de l’éclair, pouvant impacter significativement les marques ciblées.
Pour décrypter le phénomène, nous avons intérrogé Olivier Cimelière, consultant en communication et créateur du blog Le Blog Du Communicant. Olivier nous livre son regard sur les mécanismes des fake news et nous dévoile ses conseils pour s’en prémunir et les déjouer.
Qu’est-ce qu’une fake news ? Et depuis quand ce phénomène existe-t-il ?
Le mot anglais de « fake » introduit une notion très pertinente pour circonscrire ce qu’est une fake news. Il induit l’idée de contrefaçon, d’imitation, d’imposture. En français, on parle d’ « information fallacieuse ». Un néologisme a même été forgé : « infox » (contraction d’info et intox). Une « fake news » mélange ainsi le vrai, le vraisemblable et le faux pour se donner une apparente crédibilité, un caractère sérieux (voire officiel). C’est véritablement Donald Trump qui a popularisé le terme lors des élections présidentielles américaines de 2016.
Mais en soi, la fake news existe depuis beaucoup plus longtemps. Les historiens ont coutume de dire que le premier faussaire connu était le pharaon Ramsès II. En 1274 avant J.-C., il avait mandaté son scribe favori pour vanter ses exploits et sa victoire à la bataille de Qadesh sur l’autre super-puissance de l’époque, le royaume hittite. La légende s’est alors écrit sur les bas-reliefs des temples de Karnak et Louxor jusqu’à ce que les historiens modernes découvrent que cet affrontement tant vanté fut surtout un statu quo où les Egyptiens ont même frôlé une cuisante défaite !
Toi qui a analysé plusieurs cas de fausses informations, existe-t-il un mécanisme récurrent dans le cadre de la propagation d’une fake news ?
La fake news fonctionne sur une mécanique de propagation très similaire à celle du bad buzz. Pour devenir virale, elle n’hésite pas à solliciter les émotions des internautes en jouant principalement sur les leviers de la colère, de la peur ou du dégoût. Ensuite, il s’agit de sortir des premiers cercles de fans convaincus pour atteindre des cibles relais qui vont élargir l’audience et peut-être permettre à la fake news d’être reprise par un média de grande importance. Aujourd’hui, tout va tellement vite dans la circulation de l’information qu’il existe de nombreuses défaillances en matière de vérification, y compris lorsque nous partageons nous-mêmes du contenu.
En revanche, ce qui différencie une fake news d’un bad buzz, c’est qu’elle perdure à travers le temps là où un bad buzz a souvent une durée de vie limitée. Prenez l’exemple des attentats du 11-Septembre où une théorie conspirationniste maintient encore actuellement qu’aucun avion ne s’est jamais écrasé sur le Pentagone. Autre exemple : les Américains qui ont marché sur la Lune. Aujourd’hui, vous avez des groupes d’internautes qui continuent d’accréditer que c’était une mystification opérée par la Nasa et qu’aucun astronaute n’a foulé le sol lunaire.
Enfin, la fake news bénéficie aussi d’un contexte sociétal où la défiance est à son maximum. L’opinion publique est méfiante à l’égard des dirigeants politiques et des médias (mais aussi des entreprises et même des ONG). Dans l’édition 2022 du Trust Barometer d’Edelman, 55 % des Français sont ainsi convaincus que la plupart des organes de presse sont partisans et plus soucieux de soutenir une idéologie ou une position politique que d’informer le public. 57 % pensent même que les journalistes les induisent en erreur en déclarant certaines choses qu’ils savent être fausses ou exagérées et 61 % qui pensent que les médias ne sont pas suffisamment objectifs et ne font pas preuve d’impartialité. Cette défiance « aide » à la propagation des fake news.
Les entreprises peuvent-elles être sujettes aux fake news ? Y a-t-il un secteur plus propice ?
Les entreprises sont des cibles avérées comme les politiques, les personnalités de tous ordres ou des grands sujets sociétaux comme une crise sanitaire, le réchauffement climatique, etc. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer la pandémie du Covid-19. L’industrie pharmaceutique a été l’objet de constantes accusations fausses en très grande partie, notamment sur les vaccins. Pfizer et Moderna étaient présentées comme les complices d’un grand complot mondial. Même le professeur Didier Raoult n’hésitait à leur prêter des mauvaises intentions.
Théoriquement, aucun secteur d’activité ne peut se sentir immunisé contre des fake news. Néanmoins, il existe des domaines où la sensibilité est plus forte. Reprenons l’exemple de « Big Pharma ». Tous les laboratoires ne sont pas d’ignobles compagnies. En revanche, le secteur a été entaché par de véritables scandales sanitaires comme le Mediator en France ou encore les anti-douleurs opioïdes aux Etats-Unis où l’appât du gain primait sur la responsabilité industrielle. Je recommande d’ailleurs de regarder à ce sujet la série « Painkiller » actuellement sur Netflix. Ces affaires ont profondément marqué l’opinion publique et jettent une suspicion sur l’ensemble des acteurs. Une suspicion sur laquelle surfent ensuite les fake news pour pousser leurs théories délirantes. D’où l’importance pour les entreprises d’avoir une communication responsable qui ne mine pas la confiance du corps sociétal.
Ceci dit, il y aussi des « fake news » dont le seul objectif est de détruire la réputation d’une entreprise pour gagner de l’argent sur son dos, compromettre une acquisition ou même défendre une cause. C’est ce qui est arrivé à l’enseigne de grande distribution américaine Walmart en septembre 2021. Celle-ci annonçait avoir signé un partenariat avec la cryptomonnaie Litecoin. Ce qui permettrait à ses clients d’effectuer des paiements en Litecoin dans ses magasins en ligne. Cependant, ce communiqué n’a jamais été diffusé par Walmart. Cette « fake news », pourtant démentie dans la journée par Walmart, a provoqué une hausse rapide du cours de la cryptomonnaie d’environ 30%. Relayé par plusieurs médias, le cours du Litecoin est passé de 175$ à 240$ en seulement 15 minutes. Suffisamment de temps pour que les hackers empochent la mise avant que la fausse information soit démentie !
Comment identifier les origines de la fake news et s’en prémunir ?
La meilleure anticipation, c’est de disposer d’un dispositif de veille digitale sur son écosystème. Trop d’entreprises négligent encore cette veille constante ou alors, elles le font lorsque c’est quasiment trop tard et que le coup est déjà parti. Or, c’est un atout essentiel pour repérer des signaux faibles de crise, qu’il s’agisse d’un bad buzz, de plaintes de clients ou d’une fake news. À partir de là, on peut essayer de remonter à la source de ceux qui ont initié la fake news et comprendre la chaîne de propagation, voire les motivations. Même si cela n’est pas toujours possible car certains savent très bien effacer leurs traces numériques ou alors s’appuyer sur des tiers qui brouillent les pistes.
Ensuite, face à une fake news, il convient de regarder qui est l’émetteur. Fréquemment, ce sont des sites avec des URL exotiques ou des profils numériques qui ne correspondent à rien dans la vraie vie. Ce sont aussi des usurpations d’identité ou de logo pour induire en erreur le public. Généralement, il y a quantité de petits indices qui laissent supposer qu’on est en présence d’une fake news. C’est un peu comme les arnaques en ligne qui imitent des courriels d’entreprise. En regardant de plus près, on trouve parfois des fautes d’orthographes, des extensions bidon de courriels, etc.
Quelles sont les étapes à mettre en place pour déjouer une fake news ? Et quelle est la temporalité pour agir en tant que marque ciblée ?
Dès qu’une fake news est détectée, il convient de ne pas surréagir d’emblée mais de d’abord évaluer la dangerosité et la portée réelle de celle-ci. Toutes les « fake news » propagées sur le Web ne requièrent pas automatiquement une réaction au risque sinon de se faire prendre au piège du fameux « effet Streisand » et donner de l’ampleur à quelque chose qui était resté relativement confiné. En revanche, une fake news devient délétère lorsqu’elle commence à être relayée par des médias classiques ou des personnalités publiques qui sont très suivies sur les réseaux sociaux. Là, il faut bouger et démentir le plus précisément possible auprès de tous les publics concernés de l’entreprise, interne y compris afin de créer un premier cordon sanitaire en mesure de répercuter le démenti.
En 2017, lors de la tempête dévastatrice sur l’île de Saint-Martin, Air France avait été ainsi accusé, à travers une pétition signée par plus de 80 000 personnes, que la compagnie gonflait délibérément le prix de ses billets. Celle-ci a réfuté rapidement ces accusations et expliqué avoir mis en place un tarif spécial rapatriement. Enfin, après que le pic de tension est passé, il convient de continuer à observer et placer sous veille. Les résurgences sont toujours possibles dans le cas d’une fake news.
Quelles peuvent être les conséquences d’une fake news ? Comment regagner la confiance des clients et des consommateurs ?
Les conséquences d’une fake news sont du même ordre qu’une crise qui affecte une entreprise. Elles peuvent être multiples : chute du cours de bourse, interruption des ventes, plaintes judiciaires, démobilisation des collaborateurs, méfiance des fournisseurs et des clients, intervention des autorités, réputation entamée, pertes financières. Dans tous les cas, il faut communiquer ouvertement, de façon claire et concrète et dans la mesure du possible sans éluder les choses. C’est le seul moyen efficace de préserver la réputation de l’entreprise et renouer la confiance avec les parties prenantes.
Même s’il ne s’agit pas d’une fake news à l’origine, j’ai un exemple qui me semble très vertueux. En mars 2019, l’industriel norvégien de l’aluminium et des énergies renouvelables, Norsk Hydro est victime d’un rançongiciel qui paralyse près de 3 000 serveurs et ordinateurs sur plusieurs sites de production. Loin de se cacher, l’entreprise décide d’annoncer publiquement dès le lendemain la cyberattaque dont elle fait l’objet. Une page d’information dédiée est activée sur le site Internet de la société. Elle servira alors de point de contact pour le suivi des opérations de restauration de l’infrastructure et pour recueillir les questions des parties prenantes et pour informer sur les circonstances de l’attaque.
Malgré des dizaines de millions de dollars de perte d’activité à cause du ransomware, la transparence de l’entreprise est majoritairement saluée dans l’opinion public. Elle est même devenue un cas d’école pour les experts de la communication de crise. En dépit de la gravité des conséquences du rançongiciel, le cours des actions de Norsk Hydro n’a en effet pas dévissé et sa réputation a été largement préservée. Ce schéma s’applique totalement dans le cas d’une fake news de grande ampleur.
La démocratisation de l’intelligence artificielle aura-t-elle un impact dans la propagation de fausses informations ?
Malheureusement, on peut déjà parler au présent de ce fléau. J’ai coutume de dire que l’intelligence artificielle est un formidable produit dopant pour les fake news. Cela existe sous diverses formes comme les « deep fake » qui sont des vidéos faisant tenir des propos à des personnes connues qu’elles n’ont pourtant jamais prononcés. C’est même arrivé à Mark Zuckerberg en 2019. Une vidéo a circulé où on le voyait assis dans un bureau déclarer qu’il contrôle des « milliards de données volées aux citoyens » et d’ajouter que « quiconque contrôle les données contrôle le futur ». Il s’agissait en fait d’une vidéo réalisée par un artiste activiste qui lutte pour la protection des données privées collectées par Meta.
Ensuite, les photos à base d’intelligence artificielle sont source de confusion. Une photo a fait le buzz sur les réseaux sociaux pendant les manifestations contre la réforme des retraites en avril 2023. On y voit en effet un homme âgé le visage en sang et les bras entravés par des CRS. L’homme est supposément un manifestant contre le projet de réforme des retraites. Ce cliché circule alors que des violences policières ont eu lieu lors de plusieurs manifestations. Il est repartagé des centaines de milliers de fois comme la preuve irréfutable que les forces de l’ordre se comportent comme des brutes. Pourtant, il s’avère que ce visuel, si frappant soit-il, est un faux. Cet exemple pourrait très bien survenir à une entreprise que l’on veut attaquer pour diverses raisons.
Enfin, l’intelligence artificielle procure une capacité de feu monumentale pour la diffusion de fake news. Elle permet de produire en masse et encore plus vite pour ensuite inonder les réseaux sociaux et Internet ou alors imiter à la perfection un site existant. En mai 2023, la rédaction d’Aujourd’hui-Le Parisien a ainsi eu l’extrême surprise de découvrir une copie presque parfaite de son site véhiculant de fausses informations à propos de la guerre en Ukraine et critiquant l’Occident. Là aussi, les entreprises sont vulnérables.
Cette année, Adidas a dû contrer une fake news qui provenait d’une contrefaçon de sa newsroom en ligne. Pour autant, il ne faut pas céder à la panique.
Je le répète encore une fois. Mettre en place des dispositifs de veille puissants permet de contrecarrer bien des fake news avant même qu’elles ne fassent des dégâts. Il faut être pro-actif et vigilant plutôt que subir.