La chaine de coffee shop Starbucks connaît une crise sans précédent aux Etats Unis. Une cliente a filmé avec son smartphone l’arrestation de deux hommes de couleur noire assis à une table. Ils se laissent menotter dans le calme et ne semblent pas avoir commis d’infraction.
Cette vidéo est postée sur Twitter et fait le tour du web en quelques secondes : 170 000 retweets et plus de 230 000 commentaires où les gens s’interrogent.
Les deux hommes ont été interpellés parce qu’ils n’avaient rien commandé car « ils attendaient un ami » selon ce qu’ils ont déclaré. Comme des milliers d’autres clients chez Starbucks. Mais des clients dont la couleur de peau n’est pas le noir. Les internautes font rapidement le lien et s’insurgent contre ce traitement à deux mesures.
Le mauvais buzz prend une ampleur considérable, à tel point que Starbucks prévoit de fermer tous ses établissements américains le 29 mai pour faire une formation de prévention à la discrimination. Une décision colossale et inédite. Le cas Starbucks est un cas de figure « classique » d’une crise qui naît et émerge à partir des réseaux sociaux et provoque de réelles conséquences sur l’entreprise.
Nous vous proposons de décrypter le cas Starbucks pas à pas pour comprendre les mécanismes de formation d’une crise, son traitement et ses conséquences sur la réputation d’une marque.
Schéma de la crise Starbucks
Phase 1 : le lanceur d’alerte peut être n’importe qui
Le lanceur de la crise peut être n’importe qui. Une cliente, présente dans le Starbucks de Philadelphie assiste à la scène d’arrestation de ces deux hommes noirs par les forces de police et n’en comprend pas la raison. Elle filme avec son smartphone et publie la vidéo sur Twitter : premier pic, premier signal faible.
@Starbucks The police were called because these men hadn’t ordered anything. They were waiting for a friend to show up, who did as they were taken out in handcuffs for doing nothing. All the other white ppl are wondering why it’s never happened to us when we do the same thing. pic.twitter.com/0U4Pzs55Ci
— Melissa DePino (@missydepino) April 12, 2018
Le tweet de Melissa DePino est d’abord faiblement partagé le 12 avril puis la cadence s’accélère le lendemain. Avant de littéralement exploser le 13 avril au soir. A 22 heures, Leah McErrath, une écrivaine américaine reprend le tweet et publie un commentaire « Now being black at @Starbucks is apparently a crime » (« Aujourd’hui être noir chez Starbucks apparemment c’est un crime »)
Now being black at @Starbucks is apparently a crime.
— Leah McElrath (@leahmcelrath) April 13, 2018
(This is in Philadelphia.)
The look of (self-protective) resignation on the men’s faces is heartbreaking and infuriating. https://t.co/EiblbTDLyI
Les retweets s’enchainent et l’affaire de l’arrestation s’ébruite sur la Toile. De plus en plus de communautés différentes sont touchées.
Phase 2 : la presse rend l’affaire visible à tous « les autres »
La crise s’enflamme donc le 13 avril dans la soirée. En seulement 24 heures 520 000 tweets sont partagés par 282 302 utilisateurs différents.
Le 14 avril au matin, la presse locale s’empare de l’affaire : le philly.com et le philadelphia.cbslocal.com publient des articles sur l’arrestation douteuse des deux hommes.
L’article prend de l’ampleur pour atteindre son apogée de partages le 14 avril à 15h, ci-dessous la courbe de vie de l’article :
Après midi, les médias nationaux s’intéressent à l’affaire le Huffington Post, Buzzfeed, CB News publient des articles et rendent l’incident visible à toute la population.
Phase 3 : Dans l’espace-temps entre l’alerte et la réponse les heures valent des jours
La réponse de Starbucks arrive le 14 avril au soir sous la forme d’un tweet d’excuses.
We apologize to the two individuals and our customers for what took place at our Philadelphia store on Thursday. pic.twitter.com/suUsytXHks
— Starbucks Coffee (@Starbucks) April 14, 2018
Cette réponse survient donc 48 heures après les faits, autant dire une décennie. Pendant ces heures précieuses, la vidéo a été diffusée aux quatre coins du monde et tous les médias de premier ordre en ont déjà parlé.
Les internautes eux ont déjà largement fait leur interprétation des faits. Un appel au boycott de Starbucks est lancé, plus de 220 000 tweets sont publiés dessus. Des hashtags qualifiant l’entreprise de « raciste » ou de « nazie » circulent. Comme le montre le nuage ci-dessous, les expressions associées à Starbucks se polarisent autour du sujet des inégalités « blancs / noirs », de la discrimination et appellent à l’indignation.
Première erreur dans la stratégie de réponse de Starbucks : la réaction est beaucoup trop tardive. La crise est déjà dans sa phase d’explosion. Et Starbucks donne seulement l’impression d’avoir été dépassée par l’ampleur du phénomène presque contrainte de s’excuser.
Phase 4 : La réponse doit être proportionnée à la gravité de la crise
Deuxième problème dans la stratégie de réponse de Starbucks : la réponse a mal été proportionnée. Le 14 au soir alors que les médias et le web social ne parlent que de cette affaire scandaleuse et accusent Starbucks de racisme, l’entreprise dit « nous sommes désolés ».
We apologize to the two individuals and our customers for what took place at our Philadelphia store on Thursday. pic.twitter.com/suUsytXHks
— Starbucks Coffee (@Starbucks) April 14, 2018
L’appel au boycott redouble de puissance après la publication de ce premier tweet.
Starbucks comprend alors que la situation est critique et qu’il faut muscler la réponse apportée. Le lendemain, 15 avril, le CEO de Starbucks Kevin Johnson vient présenter ses excuses publiquement dans une interview sur ABC News.
FULL INTERVIEW: "I personally apologize..." Starbucks CEO Kevin Johnson one-on-one with @RobinRoberts in his first interview after two black men were handcuffed at a Philadelphia store.
— Good Morning America (@GMA) April 16, 2018
FULL STORY: https://t.co/4CL5j2lPL7 pic.twitter.com/AVnguPqAxa
Mais le mea culpa du CEO ne semble pas convaincre sur les réseaux sociaux. Parmi les tweets les plus partagés suite à cette interview, celui d’Eugene Gu, qui interpelle le CEO Kevin Johnson et lui demande pourquoi les employés et le responsable qui ont appelé la police n’ont pas été virés.
Dear Starbucks CEO,
— Eugene Gu, MD (@eugenegu) April 15, 2018
Why is the worker who called the police and the manager who let it happen still not fired?
Dear Vanderbilt CEO,
Is it like how a vascular surgeon can operate while legally drunk and still not get fired too?
Sincerely,
White privilege
Le manque d’engagement concret pèse toujours sur la réponse de Starbucks. En effet, Kevin Johnson présente ses excuses et parle de « régler la situation » , « de mettre à jour les lignes à suivre dans les restaurants et faire des entrainements » pour ne pas que ce cas de figure se reproduise mais sans rien annoncer de concret. La situation est grave et les paroles ne suffisent pas.
Finalement, le 17 avril soit 5 jours après les faits Starbucks prend une décision d’envergure nationale et inédite en décidant de fermer les 8 000 Starbucks du pays pendant une journée pour dispenser aux salariés une formation sur la discrimination.
On 5/29, we'll close US company-owned stores to conduct racial-bias training to address implicit bias & prevent discrimination. We're taking a hard look at who we are as a company. We’re ashamed & recognize that racial bias is a problem we must address. https://t.co/xIYc75BJPj
— Starbucks Coffee (@Starbucks) April 17, 2018
Une décision qui semble cette fois prendre la mesure de la situation et convaincre davantage le public.
So I work at Starbucks and I have already had 3 white women ask about the May 29 closing for racial bias training, saying how inconvenient it is. You know what is even more inconvenient to black people, Karen? Racial bias that gets them shot and killed for just existing.
— ty (@the_myleg_fish) April 18, 2018
Starbucks deserves a ton of credit for their decision to shut down 8,000 U.S. stores in order to train their employees not to be racially biased.
— Ed Krassenstein 💎 (@EdKrassen) April 17, 2018
Their CEO deserves 100,000 Retweets! @Starbucks
Phase 5 : les conséquences de la crise se paient à long terme
A court terme, après 2,8 millions de tweets postés et 20 000 articles de presse en ligne publiés, l’activité se calme en ligne. Pourtant près de dix jours après l’indicent à Philadelphie le volume de publications sur Starbucks est toujours bien supérieur au niveau d’avant crise : 150 000 tweets par jour contre 25 000 tweets par jour avant la crise. Donc dix jours après les faits, l’activité en ligne sur Starbucks est encore 6 fois supérieur à l’activité « normale ». En effet, l’affaire donne lieu à des interprétations et réinterprétations qui continuent d’alimenter les réseaux. Par exemple, Melissa DePino, la lanceuse d’alerte, est interrogée par les médias pour raconter son histoire. Un article partagé plus de 265 000 fois sur Facebook.
A moyen terme, Starbucks s’est donc engagé à fermer ses 8000 cafés pendant toute une journée pour dispenser une formation anti-discrimination à ses employés. Il y aura donc un manque à gagner immédiat.
A long terme, l’image de marque de Starbucks a pris un sévère coup de canif. Désormais, lorsqu’une affaire de ce type explosera, celle-ci sera rapprochée du cas qui s’est déroulé chez Starbucks. Sur internet les « traces » de ce bad buzz ne s’effaceront pas, les articles continueront d’apparaître dans les recherches Google même des années plus tard.
Il est désormais vital pour Starbucks, ou pour toute autre entreprise qui a déjà connu une crise, de ne plus reproduire des erreurs de ce genre. D’abord en mettant en œuvre des politiques qui empêchent à ces situations d’exister. Ce que Starbucks semble disposé à faire en formant ses employés. Ensuite d’un point de vue communication, en investissant dans une veille poussée qui aurait permis au siège de l’entreprise de savoir le 12 avril qu’un incident grave s’était produit et commençait à circuler sur internet. Le logiciel Visibrain aide à prévenir et suivre les cas de crise comme celui-ci. Vous pouvez demander un test auprès d’un de nos experts.